Pourquoi les relations de couple sont-elles parfois si douloureuses ?
Il arrive que des personnes aient des difficultés en couple simplement parce qu’elles ne savent pas bien communiquer, et qu’il suffise de leur apprendre à mieux communiquer sur leurs sentiments et sur leurs besoins pour qu’elles se comprennent mieux. (Voir à ce sujet mon article sur le bâton de parole.) Mais quand ça fait vraiment très mal, c’est parce que nos interactions ravivent nos blessures intérieures. Ça arrive dans toutes sortes de relations, mais tout particulièrement dans les relations de couple.
Il vous est sûrement arrivé de ne pas comprendre pourquoi votre partenaire vous semble réagir de manière disproportionnée à une petite chose que vous jugez insignifiante ? (Vous pouvez remplacer le mot « partenaire » par l’un des mots suivants : mari, femme, compagne, compagnon, père, mère, fils, fille, chef.fe, collègue etc…) Et aussi d’être blessé.e et en colère parce qu’il ou elle ne veut pas vous écouter ni reconnaître qu’il ou elle vous a manqué de respect ?
Ce qui se passe, dans ces cas-là, c’est que la « petite chose » apparente n’a pas la même signification pour les deux partenaires, et que bien qu’étant tout à fait anodine pour l’un.e, elle est très douloureuse pour l’autre, à cause de la signification qu’il ou elle lui attribue. Pour prendre une métaphore, imaginez qu’on vous tapote légèrement sur l’avant-bras. S’il s’agit d’une personne en qui vous avez confiance et que votre avant-bras est intact, ce sera anodin et vous ne le remarquerez peut-être même pas. Mais si vous avez une fracture ouverte ou une grave brûlure à cet endroit, un simple petit tapotement peut vous faire très mal. Et vous pouvez vous sentir en colère contre la personne qui n’a pas pris soin de votre blessure, n’est-ce pas ? Mais le problème avec les blessures à l’âme, les blessures psychologiques, c’est qu’elles ne se voient pas : on ne sait pas qu’on touche une zone douloureuse. Et si la personne touchée se met brusquement et violemment en colère, l’autre ne comprend pas ce qu’il se passe. Et si ça arrive trop souvent, elle peut avoir l’impression de marcher sur un champ de mines : elle ne voit rien, mais une explosion susceptible de la blesser gravement peut se produire à tout moment.
Nous avons tous et toutes des blessures de ce genre, qui résultent notamment de ce qu’on appelle « traumatismes du développement ». (Le mot « traumatisme » peut laisser penser qu’il réfère à un événement grave, mais il peut aussi bien s’agir d’une accumulation de petites choses dont on n’a pas pris conscience.) Et les relations de couple sont généralement celles où nous avons le plus d’occasions de nous blesser mutuellement de cette façon-là, chacun appuyant sur les blessures de l’autre, le plus souvent inconsciemment et involontairement et sans comprendre ce qu’il se passe.
Le fait de comprendre le processus peut être la première étape pour sortir de cette souffrance. Parce que si nous comprenons ce qui se passe, nous voyons que nous ne sommes pas coupable et que l’autre n’est pas coupable non plus : c’est juste un accident. Alors nous pouvons nous occuper de guérir nos blessures et prendre le plus grand soin de celles de l’autre. Alors que si nous ne comprenons pas ce qui se passe, nous risquons d’entrer dans une escalade de colère ou de ressentiments muets.
Des connaissances au sujet des émotions peuvent nous y aider. Voyez par exemple les vidéos suivantes :
Les états du système nerveux autonome
Et l’article de Deb Dana sur la théorie polyvagale.
Si vous avez regardé les vidéos et/ou lu l’article ci-dessus, vous aurez compris que pour se sentir heureux et en paix en couple (ou dans toute autre relation), il vaut mieux se trouver dans l’état « vagal ventral », dans lequel notre système d’engagement social est activé : c’est l’état dans lequel nous sommes quand nous nous sentons en sécurité, en paix et amical avec nous-même et avec les autres. Si nous nous sentons en danger (que le danger soit réel ou imaginaire), c’est notre système sympathique qui va tout d’abord être activé, nous préparant pour l’attaque ou la fuite. Bien entendu, le système nerveux autonome, de manière largement inconsciente par la neuroception, capte des indicateurs de danger ou de sécurité chez les personnes qui se trouvent près de nous. Il est important de se rappeler que ces indicateurs de danger ou de sécurité ne sont pas objectifs : certains sont communs à tous les êtres humains, mais d’autres sont spécifiques à certaines personnes. Nous captons ces signaux de danger même si nous n’en sommes pas conscients, et ils affectent l’état de notre système nerveux autonome, donc de tout notre corps et le fonctionnement de notre esprit. Par exemple, nous pouvons inconsciemment interpréter comme un signal de danger le visage fermé de notre partenaire ou des signes subtils d’irritation. Du coup, la peur et la colère de l’un vont souvent engendrer peur et colère chez l’autre. D’où une escalade de peur, de colère et de souffrance. Comme nous ne comprenons pas ce qui nous arrive parce que ça vient de la neuroception de notre système nerveux autonome, nous avons du mal à remédier à cette situation et à retrouver un état de paix intérieure et avec l’autre. C’est là que l’aide d’un ou une thérapeute est précieuse : le ou la thérapeute peut aider les partenaires à retrouver un sentiment de sécurité qui va ensuite permettre d’entamer un dialogue constructif. Il s’agit de passer d’une situation ou chacun.e perçoit l’autre comme une menace, et est donc sur la défensive, à une situation où chacun.e peut comprendre ses propres blessures et celles de son ou sa partenaire et où les deux peuvent faire équipe, avec le ou la thérapeute dans un premier temps, pour prendre soin des blessures de chacun.e et les guérir.
Il est essentiel de se rappeler que ces blessures dites « psychologiques » sont en réalité inscrites au plus profond de nous, dans notre corps, dans notre cerveau : ce sont des phénomènes biologiques qui se produisent, que nous ne pouvons pas simplement contrôler par notre esprit. Il ne suffit donc pas de « faire des efforts » (mot qui revient souvent dans les couples, voir mon article « Cessez de faire des efforts, soyez attentifs ») ou de prendre de bonnes résolutions. Il s’agit de soigner des blessures, et si ces blessures sont graves cela prend du temps et nécessite l’intervention d’une personne compétente et attentionnée, exactement comme des blessures physiques peuvent requérir des soins médicaux plus ou moins prolongés.
Mots-clefs : émotions, relations de couple, système nerveux autonome, théorie polyvagale, traumatisme du développement